
Les migrants doivent souvent voyager léger: un sac à dos, des espoirs, des rêves, des souvenirs et de la musique. U-Cef (alias Moulay Youssef Adel) n'a rien de plus à déclarer lorsqu'il débarque aux USA vers la fin des années 80, en provenance de son Maroc natal.
Né à Rabat, U-cef s'est familiarisé dès l'enfance avec les trésors de la musique marocaine, de la transe brute des gnawa au raffinement des musiques andalusi et melhoun, de la poésie engagée des nouveaux agitateurs pop (Nass El Ghiwane ou Lem Chaheb) aux fascinants rythmes du ahwash et des autres chants traditionnels du Haut-Atlas, le sacré et le profane, le méditatif et le funky… Les influences étrangères n'ont pas tardé à opérer: luxuriantes musiques de films indiens (omniprésents au Maroc), BO de Bruce Lee, puis découverte des Beatles, Jimi Hendrix, Led Zeppelin. Bientôt, un teenager nommé U-cef hante les clubs comme le Jefferson à Rabat ou La Notte à Casablanca et, vêtu de pantalons à pattes d'eph' et de chemises indescriptibles, s'imprègne de Sly Stone, Isaac Hayes, Kool and the Gang, Funkadelic… Grâce à des oncles mélomanes, U-cef a l'occasion de jouer de la guitare électrique puis d'acquérir une batterie. Il forme un groupe, Quark, qui rêve d'atteindre la sophistication de ses héros du moment, Weather Report… Mais la scène musicale marocaine accueille difficilement ce genre de démarche, et l'émigration fini par s'imposer.
A New York, il faut beaucoup de courage et de motivation à U-cef pour survivre, puis pour s'immiscer dans la scène musicale. Il joue régulièrement avec un autre exilé marocain, Hassan Hakmoun, puis avec des groupes de reggae et de hip hop. Il acquiert une connaissance intime des musiques urbaines de la fin du 20e siècle. Il se marie, sa femme Fiona est anglaise, et U-cef part s'installer à Londres en 1994, où il poursuit son voyage musical en s'immergant dans les styles qui enflamment l'underground de la capitale anglaise, drum'n'bass, ragga et techno.
Après un bref succès avec le groupe de jazz-funk Pan, il est temps pour U-cef de labourer son propre champ musical. De simple musicien, il se transforme en concepteur, producteur, ingénieur du son. Il construit son propre petit studio dans l'ouest londonien, et invite un large éventail d'amis musiciens à participer à l'enregistrement de "Halalium", son premier album, qui paraît en 2000 sur le petit label britannique Apartment 22. U-cef y brasse sans complexe hip hop, drum'n'bass et racines marocaines diverses en un mélange visionnaire. "Halalium" plaît énormémement au public européen averti, tout en s'imposant comme la pierre angulaire de toute une nouvelle génération d'artistes marocains, à commencer par Fnaïre, les parrains de la scène hip hop actuelle.
Le chapitre suivant de cette histoire d'immigrant s'intitule ‘Halalwood’, et U-cef a mis plusieurs années à l'écrire. Il résulte de son idylle florissante avec le rock, avec le R'n'B, avec un cercle d'amis et de collaborateurs en perpétuelle expansion. Malgré l'impressionnante liste d'invités, U-cef a vécu une expérience plutôt solitaire, calant les séance d'enregistrement pour ce projet entre les petits boulots, les concerts, les remixes pour d'autres artistes , et le temps consacré à ses enfants Maysoun et Joshua. Voyageant toujours léger, toujours en exil, toujours combattif, U-cef poursuit sa route, animé par le courage, l'inspiration et le désir de dissoudre les frontières.
Andy Morgan